Exposition « Les nouveaux objets et les évocations », Centre d’art Aponia (Villier-sur-Marnes), 2015
Texte de Préface à l’exposition en vue du livret « L’index et le catalog ».

Ilona Tikvicki part du constat d’une profonde modification des fonctions cognitives dans la culture numérique pour en exploiter le potentiel poétique et formel. Confronté à des flux d’informations, à l’émergence d’écritures inédites et à de nouvelles formes d’interactions, le sujet contemporain, sollicité à l’excès, subirait une crise de ses processus de représentation à laquelle l’artiste cherche à répondre. Elle aperçoit dans la nouvelle condition technologique de l’humanité l’expérience d’un nivellement des réalités mathématiques, sociales, physiques et virtuelles, dont sa créativité peut tirer profit, en en croisant les imaginaires, les modes de lecture et les références théoriques. La possibilité de cette pensée globale et réticulaire multiplie en effet les opportunités d’associations d’idées hasardeuses ou au contraire de corrélations logiques dont «Les nouveaux objets et les évocations» s’approprie précisément le bénéfice plastique et sémantique.
Pour son exposition au centre d’art Aponia, Ilona Tikvicki réunit une partie des données qu’elle collecte depuis des années sur les Internets ou dans l’environnement réel, cherchant à indexer et à mixer par le fragment un monde en constante mutation, mais aussi les images des cultures et le travail d’autres artistes qui nourrissent ses recherches plastiques. Par la présentation de ces œuvres possibles, restées à l’état de projets, et d’autres effectivement produites, Ilona Tikvicki met en tension réel et virtuel au sein du processus créatif, ouvrant un vaste champ d’évocation qui constitue le véritable sujet de l’exposition. La déconstruction de ces mécanismes de symbolisation, qui conditionnent la conception comme la réception d’une œuvre, n’incite que mieux le public à réfléchir à ses propres réseaux de significations, à ce à quoi une image, un mot, une sculpture, un dessin l’invite à penser. A travers une plasticité minimaliste, propice à projections, Ilona Tikvicki, figure le mouvement d’une interprétation artistique de ces nouvelles données numériques, de ces nouveaux matériaux, qui (re)composent le paysage sensible contemporain.
Introduisant les thèses de la biologie matérialiste dans le champ de l’art conceptuel, la plasticienne travaille autant les objets concrets que leurs objectivations abstraites. L’index et le catalogue, projet initié en 2012, est un répertoire in progress qui présente un extrait de ces bases d’œuvres à actualiser. Ces données iconographiques et verbales, collectées et assemblées de manière semi-aléatoire, agissent comme des accroches du processus créatif, des matériaux prêts à être conçus. Un second corps d’œuvres, des sculptures minimalistes, pour certaines réalisées in situ, en présente des concrétisations possibles. Ilona Tikvicki démontre ici toute sa sensibilité à la matière, à la diversité des matériaux et à la forme concrète. Les Fuzzy Drawings, expérimentations graphiques, s’inspirent du concept de percolation, utilisé en sciences physiques, sociales et mathématiques, qu’elle mobilise pour figurer par le flou les mouvements de masse des révolutions arabes, tentant de modéliser le passage de l’individuel au collectif, du local au global, du chaos à l’organisé.
Florian Gaité

Exposition « Plus qu’hier, moins que demain », Atelier des vertus (Paris), 2013

Une proposition de ilona Tikvicki avec
Guillaume Constantin / David Guez / Piers Henriot / Magali Sanheira / ilona Tikvicki / Marina Tomasini
A la fois banale (inhérente au quotidien) et hors norme (elle occasionne l’éclatement du raisonnement) l’aporie survient lorsque deux propositions vraies mènent à une impasse logique. Mis à mal ce raisonnement perd de sa fluidité. Il y aurait perturbation, incohérence et diffluence. Tel un mécanisme qui se grippe, la pensée cherche une issue et s’enraye. Le parallèle propositionnel induirait une dislocation du système. En effet il arrive qu’il n’y ait pas d’issue. Ces circonstances préparent le terrain de reconfigurations improbables.
Au-delà de chercher à rassembler des plasticités emblématiques de cette notion, les artistes invités ont pour certains sélectionné dans leurs bases de travaux existants des pièces y faisant écho et dont les angularités idéiques induisent des répercussions sur le devenir de la situation aporétique : des ouvertures conceptuelles énigmatiques (Piers Henriot), une poétique paroxystique de la communication asynchrone (David Guez), de l’onirisme et une extrapolation bioéthique post-punk (Marina Tomasini). Mais encore dans la dynamique de leurs productions certains artistes infiltrent la bombe et désamorcent le processus (Guillaume Constantin), agissent comme force de contention de l’explosion (Magali Sanheira) ou annule l’opération par le biais de la réduction matérielle de l’œuvre (ilona Tikvicki).
Il s’agit là de jouer et d’éprouver les conditions propres aux apories, d’observer les positionnements, les réflexions stratégiques et les expériences de l’ouverture en vue de déjouer les impasses du réel. Est – ce aussi une manière de dessiner une zone temporaire de résolution des apories ?
Ilona Tikvicki
Exposition « Titre provisoire », Espace d’art Les Salaisons (Romainville), 2012

Curating Laurent Quénéhen, avec ilona Tikvicki et Y Liver, Il Topo
« Le rôle de la plasticité cérébrale dans la résorption du trauma de Pschiiit »
La proposition « Le rôle de la plasticité cérébrale (…) » explore les influences extérieures sur l’être humain, l’animal de mer et la matière. L’adaptabilité au milieu, les stratégies de fuite, font partie des recherches esthétiques. Le titre ici pourrait être celui d’un manuel de recherche en neurologie, mais le «trauma de Pschiiit» n’existe pas. Ce qui est nommé, non sans humour, semble être le caractère inactinique de la douleur, un indice sur le point de vue en contre-plongée depuis lequel le cobaye apparemment destitué de son jugement redouble d’attention, décuple son acuité perceptive et la conscience de sa position pour innover en stratégies de survie glissantes. Là où le souvenir est édulcoré par les mots, la forme parle, la matière et les contours rendent compte des influences et des pressions à l’instar de ces pierres, de ces ossements qui révèlent l’origine du monde.

Ilona Tikvicki effeuille l’histoire familiale et ses héritages. Elle sonde les origines psycho-sociologiques de la sphère privée. C’est une recherche sur la fragmentation du souvenir, les images récurrentes et la mémoire du corps qui s’exprime dans un champ lexical et visuel polyphonique où l’autre est toujours présent dans un rapport au même ou à l’étrange.

L.Quénéhen
Curating Maxence Alcalde – « Nous étions jeunes et larges d’épaules »
Dans les années 1980, des penseurs comme Gilles Deleuze et Félix Guattari et des écrivains comme Maurice Dantec ont pensé les conditions d’existence d’un devenir schizophrène. Une nouvelle forme de dédoublement de personnalité viendrait à s’opérer non plus sur le mode du pathologique mais sur celui de la nécessité d’adhérer à des réalités successives.
Pour la jeune génération d’artistes, ce devenir schizophrène considéré comme « jeu social » est pleinement assumé : multiplication des pseudonymes (du tag au web), pensée de l’instant exprimée on-line, dynamitage des tribus musicales et éclectisme rendu possible par le téléchargement illégal, amitiés multiples et croisées, conscience du réseau… Dans ce contexte, qu’en est-il de la fiction à l’ère où chacun est amené à se présenter sous l’identité qui lui semble adéquate au moment où il apparaît ? Est-il encore possible d’évoquer une autobiographie autrement que sous le régime de l’autofiction morcelée, ondoyante et multiple comme les tactiques du poulpe des mythes grecs ?
Et c’est sur l’héritage de cette tactique du poulpe que s’élabore l’idée de « poulpisme ». Sur le modèle de la série télé, Poulpisme est pensée par « saisons », chacune racontant une histoire singulière faisant parfois intervenir les mêmes « personnages ».
Poulpisme renoue également de manière ironique avec les avant- gardes historiques en créant un nouvel « isme ».
Poulpisme présente le travail d’artistes dont l’oeuvre explore les limites de la fiction, offrant autant d’occasions de renouvellement de ce genre (journal intime, « autofiction », délire narcissique, paranoïa, etc.).
Pour ce premier volet l’exposition s’intéresse aux fictions amoureuses et sentimentales. Héritiers des telenovelas, des soap-operas et de la chanson populaire (dont elle emprunte le titre à un refrain d’un tube de Bernard Lavilliers), cette sélection d’ oeuvres interroge notre rapport à la construction de l’image amoureuse.
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Le point de départ du travail d’Ilona Tikvicki réside probablement dans l’exploration de la notion d’identité comprise comme fictionaliation de soi. A partir de 2006, Ilona Tikvicki ancre sa pratique dans la « poésie et le réel », ou plus exactement dans une manière de vivre le quotidien qu’elle identifie à une forme d’art engagé, à une micro-utopie de l’instant. Son attention se porte alors sur la nécessité de l’in progress avec l’idée forte que la « permanence » doit rester pour elle un mode de résistance.
Chut (série Héritage) prend comme point de départ un portrait réalisé par le père de l’artiste alors qu’elle était enfant. Ilona Tikvicki a modifié ce portrait intime en cousant la bouche d’un fil rouge renvoyant de cette manière à la difficulté d’assumer un héritage tout en exprimant les liens indéfectibles qui inscrivent notre existence dans une généalogie. Chut s’inscrit dans la série « Héritage » (débuté en 2008) dans laquelle l’artiste s’attache à interroger ses propres mythologies familiales qui transitent par l’image picturale et photographique.
Childhood Nightmare (2009) est une approche biaisé des contes de fées. Comme dans les analyses psychologiques de Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de Fées), Childhood Nightmare fait ressortir l’aspect intrinsèquement sexuel de la figure mythologique de la licorne. L’ornementation outrancier de la tête de la licorne créé un certain malaise chez le spectateur en replaçant cet « objet transitionnel » anodin dans l’univers onirico-érotique de la sexualité enfantine décryptée à la lumière de la psychanalyse.

Exposition « La scène / l’intime », Batofar, 2000
Curating Aurélie Voltz
Le travail l’ilona Tikvicki se décline sur différents supports. Des photographies couleurs découpées sont destinées a être montées, mises en espace, collées sur un mur ou a être projetées sur un écran. Parallèlement ses rêves donnent lieu à d’étranges récits entre fiction et réalité, à des phrases abstraites qui viennent s’associer aux images. Mis en page et photographiés sur l’écran d’ordinateur, ces fragments de textes, forment eux même des compositions. Ces travaux, tels des indices, laissent entrevoir à la fois la vie nocturne et la vie intime d’une même personne.
Dans sa dernière projection, des couples d’images et de textes qui, associés, se décalent peu à peu. Les vues d’une architecture contemporaine et d’intérieurs neutres croisent des images jaunies liées à l’enfance, tels des souvenir venant ponctuer un parcours urbain. Cette succession de différentes atmosphères, entrecoupées de noirs abstraits jouant le rôle de pause, semble retranscrire le rythme et le cheminement d’une pensée.
Aurélie Voltz.